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Grim Heka – Tale of the Picts

Pays : Australie
Genre : Dark Ambient Expérimental
Label : Indépendant
Date de sortie : 30 Janvier 2018

Musique profondément mystérieuse, le dark ambient est le plus souvent le prétexte, par ses côtés immersifs, pour explorer les terres de l’inconnu et de l’infini. L’artiste australien Grim Heka nous emmène du côté des antiques contrées nordiques d’Écosse et réalise avec brio un album qui se situe comme le témoin des légendes et de narrations à la fois envoûtantes et novatrices. Tale of the Picts, ou Légende des Pictes, nous sollicite pour un voyage dans le temps du côté du peuple antique des Pictes, qui reste connu pour avoir empêché Rome de conquérir la partie nord des îles Britanniques. Album auto-produit, ce travail pourrait montrer la voie dans un genre qui parfois se répète.

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Adepte de la synthèse modulaire, Grim Heka, dès les premières notes de « Dawn Over Hebrides », définit bien la personnalité de l’album. Notes ciselées, montées bruitistes tempérées et maîtrisées, le musicien n’entend pas tomber dans les travers des nombreux utilisateurs de synthétiseurs modulaires. Si certains musiciens laissent trop de place à l’aléatoire et au hasard, Grim Heka se sert de ces outils afin de bâtir des paysages sonores raffinés, minimalistes et pourtant puissants et habités. La première piste de cet album définit le paysage de ces légendes, du côté des îles Hébrides. Cette piste d’introduction est pleine de nuances, entre drone obsédante et coupures qui laissent place à des motifs mélodiques qui s’ajoutent à des enregistrements acoustiques bucoliques, pleins de cris d’oiseaux. Les basses sont à la fois tranchantes et grasses, et soutiennent l’évolution harmonique d’une musique finalement lyrique et berçante.

« Crechad » laisse place à un paysage sonore plus rythmé qui joue à la fois avec des voix féminines qui tissent de mystérieuses harmonies qui s’ajoutent à des nappes stridentes. On peut voir dans ce morceau la capacité de l’artiste à expérimenter et à engendrer des sonorités nouvelles. Les voix, qui sont glitchées, se muent en instruments qui développent des harmonies inédites. La piste « Troglodyte » revient aux poncifs du genre mais de façon survitaminée. Une basse intenable soutient des expérimentations bruitistes, qui laissent place à quelques rares percussions et des motifs tranchants et arides.

« Battle of Nechtansmere » se lie davantage à la narration et à une bataille du VIIème siècle après Jésus-Christ, qui vit les Pictes remporter une victoire militaires sur leurs ennemis Northumbriens, un autre peuple anglo-saxon. Il ne s’agit pas ici d’un morceau épique mais davantage d’un paysage psychologique qui traduit le malaise de la guerre par des harmonies étranges et contradictoires. « Divination », un morceau aéré et rythmé, nous laisse profiter de l’étrangeté des textures électroniques que l’on serait tenté de rattacher à des instruments à vents. L’artiste joue avec avec les saturations avant de laisser cours à des percussions. C’est l’arythmie d’un rituel bien personnel qui nous ramène à la fois aux codes du ritual ambient mais dans une expression plus personnelle.

Le morceau suivant, « Death of the Stag », est un morceau pénétrant par le contrepoint, entre une mélodie légèrement décalée dans les mediums, tandis que les basses, puissantes, servent cette musique un peu comme le ferait un orchestre par le biais d’une session de trombones. La musique engendrée par cette orchestration surprenante rappelle des sonorités orientales. Attaché aux mythes et au folklore, Grim Heka nous plonge dans les rêveries d’Eithne, une déesse du folklore irlandais qui est le symbole de la féminité et de la poésie. « Eithne’s Dream » tisse sa toile de nappes de synthétiseurs, qui ne laissent finalement que peu de place à la rêverie, tant les textures nous emmènent dans une matière dense et abstraite.

« Gathering Storm » est la pièce phare de cet album. Le synthétiseur sonne comme des cuivres. Un sample de pluie puis un rythme enjoué transforme une musique plein de spleen en une rêverie attachantes et inventive. Ce morceau, plein de subtilité, remplit l’espace avec goût et réussit, dans un format long à sceller, des évolutions qui renvoient à des méthodes de compositions classiques. Des voix et différentes aspérités rendent cette tempête onirique et mystérieuse. « Forgotten Lore » conclut parfaitement cet album au travers d’un thème aérien et minimaliste à l’image de cette album, qui séduit par ses sonorités nouvelles et précises.

Grim Heka, à travers des sonorités électroniques et habitées, nous livre un album de premier choix dans un registre dans lequel les artistes se répètent souvent. Cette musique ne se complaît pas dans les poncifs du genre, mais trouve la formule juste pour bâtir une narration efficace autour d’un univers musical minimaliste qui va chercher dans l’expérimentation des sonorités inattendues. Nous regrettons que le décor proposé, les légendes pictes, soit trop en retrait, mais nous ne pouvons que saluer le travail d’un musicien détaché de ses outils au service de la musique.

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